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LES FADAS DE LA PETANQUE (Francis Huger)

Vexant, ironique, enchanteur : LE BUT.

Le but est en bois (n’importe quel bois), on se demande pour quelle raison, à moins qu’il s’agisse d’une mesure de prudence ; le bois, projeté dans un œil par exemple, ou une vitre, faisant moins de dégât qu’un objet en métal.

Donc pas d’objection sur cette amicale pensée de la fédération, pour les spectateurs dont les yeux s’écarquillent (d’admiration naturellement) et pour les fenêtres des immeubles voisins.

Mais le but, c’est bien autre chose qu’une petite boule de bois (ronce, noyer, acajou, sycomore, platane, cerisier). C’est en fait vers lui, sur lui et, en règle générale le plus près possible de lui, que vont se cristalliser toutes les énergies de deux, quatre ou six boulistes (ou même un seul, on l’a vu) attirés par lui, subjugués par lui, dédaignés ou comblés par lui, vexés ou enchantés par lui…

Deux, quatre ou six boulistes qui représentent 140, 280 ou 420 kilos d’os et de chair (et parfois bien davantage !) additionnés à 5 kg 100 ou 10 kg 200 de métal, hypnotisés, domestiqués, irrités, soumis à cette petite chose de 50 gr, ironique, inaccessible ou compatissante, qui sourit, se moque et parade, à dix mètres de là…

Le but est capricieux (et c’est bien son droit). Il ne tolère pas qu’on le lance à moins de six mètres, ni à plus de dix. Il lui faut aussi cinquante centimètres entre son ventre et l’obstacle, quel qu’il soit, le plus proche.

Il bute volontiers contre les pierres, pour revenir ou s’égayer justement là, où l’on veut qu’il aille ; il est d’accord pour être arrêté par un spectateur, mais il n’est plus d’accord quand c’est un joueur. Alors, il faut le relancer, le recaresser, le resolliciter. Il aime ça…

Il exige (et le règlement l’approuve) d’être considéré comme perdu, à six conditions différentes dont l’essentielle, la plus formelle en tous cas, est celle-ci « lorsqu’il est introuvable… » Que voilà une précision intéressante…(article11). Il semble que l’on puisse inscrire dans cette dernière catégorie, quelques autres circonstances sur lesquelles le règlement est malheureusement discret : la disparition du but dans le bec d’un oiseau migrateur (et affamé) volant au ras du sol, son aspiration par un hélicoptère malicieux, son absorption par une autruche de passage ou une imprévisible fissure du terrain, sa combustion inattendue sous l’effet d’un mégot particulièrement agressif et incandescent (16).

Dans un touchant paragraphe troisième, le règlement nous prévient que le but est perdu (aussi) quand « il est juste masqué par un obstacle quelconque ». Bon. Tout à fait juste, tout à fait convenable, tout à fait acceptable.

Et il croit malin ce règlement, d’ajouter entre parenthèses « autre qu’une boule … »

Vous avez bien lu « un obstacle autre qu’une boule… »

Alors, là, je trouve franchement que le règlement exagère. I nous prend réellement pour des attardés mentaux, des idiots, des laissés pour compte de la matière grise…

Comment une telle parenthèse (et même deux) a-t-elle pu germer dans le cerveau d’une (et même sans doute de plusieurs) personne normale ? Comment peut-on décemment, calmement, normalement, mettre en parenthèses ce qui constitue cette suprême ambition du bouliste raisonnablement fabriqué, ce point d’orgue (et d’orgueil), ce bijou de la pétanque.

Si une boule cache le but, Messeigneurs, c’est nécessairement qu’elle le touche, ou peut s’en faut ; c’est donc, Messeigneurs que l’auteur de cet exploit a atteint les sommets de la perfection, en matière de pointage.

Et la fédération tenez, j’avais bien envie de laisser un « f » minuscule voudrait passer cela sous parenthèse ! Et nous laisser croire que c’est un accident de terrain ! Et nous persuader qu’il s’agit d’un obstacle ! Et nous ravaler au rang de « quelconque » ou presque.

Il semble que l’on fasse là, un peu hâtivement, bon marché de l’application générale des joueurs de pétanque. Quand une boule cache le but et le Dieu du sport fasse que cela soit fréquent c’est qu’elle « tète », ce qui constitue ni plus ni moins, qu’un fait d’armes exceptionnel.

Oui messieurs, nous nous élevons avec la dernière énergie contre ces parenthèses d’abord et ensuite, ou plutôt en même temps, contre cette précision aussi inutile que fausse, qui risque de jeter le trouble dans quelque esprit…pointilleux, c’est le moment de dire.

Une boule qui masque le but, un but qui est masqué par une boule, ce n’est pas un obstacle, c’est une merveille ! Et l’expéditeur ne doit pas être fustigé, mais loué.

Nous en aurons terminé avec le but, en disant que s’il est cassé et c’est plus fréquent qu’une boule il faut quand même l’avis du jury pour le remplacer. Ah, mais…

Toutefois, le règlement en veine de gentillesse, ajoute « immédiatement ». On devrait donc (aisément) pouvoir se passer de jury. On saura encore si la mutilation se produit en cours de partie (et non sournoisement, dans le vestiaire) le plus gros morceau de bois de ce petit morceau de bois, comptera pour l’attribution des points.

Ainsi, et c’est encore là un aspect réjouissant de ses mérites, le but même déchiqueté, , même pulvérisé, continue orgueilleusement, de toute la force de ce qu’il en reste, à tenir son rôle de chef. Même tranché c’est encore lui qui tranche…

Le règlement, quasiment intarissable (et on le comprend) quand il parle du but il n’a pas l’air de savoir, ou alors, il le dissimule bien, que ce fameux but, dût son orgueil en souffrir, est souvent remplacé (sans l’avis du jury) surtout dans les parties amicales. On se sert alors de divers autres objets tels que pommes de terre, cailloux à peu près ronds, pommes à cidre, boutons de manchette, voire même, des œufs (très durs en ce cas).

Le but bénéficie également de quelques appellations très personnelles et affectueuses dont il a toutes raisons d’être fier : le petit, le boulin, le mignon, le gari (petit rat, en provençal), le peintre. Dans le Nord au-dessus d’Avignon, il est le cochonnet, plus simplement. 

 (16) Je n’ai pas cité dans ses disparitions possibles, ni dans ces animaux innocents, la modeste poule, la bonne petite poule de chez nous. C’est parce qu’elle a été l’héroïne d’une histoire vraie, qui s’est déroulée à Saint-Loup, dans la banlieue de Marseille.

Une gallinacée donc, qui passait par là, avala paisiblement du moins elle en donna l’illusion le but, le bon petit but de bois.

Qu’est-ce qu’on fait, monsieur l’arbitre ? demanda le responsable du tir.

Tu n’as qu’à trouver un autre but…

Le joueur ne voulut rien savoir, L’arbitre embarrassé, s’impatientait, quand il proposa sérieusement… d’éventrer la poule. Et si l’on n’en vint pas à cette triste solution, c’est que le propriétaire ameuté, accourut réclamer sa bête. Il dût quand même de ses deniers, acheter un autre but.

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